La nouvelle guerre de 14

 

La nouvelle guerre de 14

 

En 1918, le cri du cœur et de la raison était que l’on venait de vivre la der des der. Il n'était pas concevable qu’une telle boucherie pût se répéter ; près de 19 millions de morts, dont la moitié dans les populations civiles et près de 22 millions de blessés. On sait ce qu’il en fut : vingt et un ans après, une fois accomplies les grandes manœuvres des puissances de l’Axe en Espagne (entre 350 000 et 450 000 morts), la der des der se transforma en seconde guerre mondiale dépassant de loin la première dans l’horreur. La barbarie aux visages multiples, non seulement, tua plus de 60 millions de personnes, principalement des civils, mais révéla une inhumanité des comportements dont on pensait, et pense encore, ne pouvoir être que le fait de déments ou le fruit de l’imagination d’auteurs spécialisés dans l’horreur. Pour reprendre la formule de Raymond Aron, évoquant en particulier la Shoah : même si certains le savaient, on ne pouvait y croire.

En 45 comme en 14, on ne pouvait imaginer que les peuples pussent revivre, ni comme victimes ni comme acteurs, un tel cauchemar. Mais, au cauchemar des dernières années s’ajouta celui de l’avenir de l’humanité, définitivement condamnée par l’existence de l’arme atomique. Il est de bon ton dans les milieux “autorisés” de considérer que, justement, le caractère même de cette arme expliqua la coexistence entre les deux blocs. Il est aussi des naïfs, ou des niais, pour déclarer avec des trémolos dans la voix, que c’est la construction européenne qui fut le facteur de paix, négligeant un petit détail : on avait changé d’ennemi. Les pays démocratiques européens n’avaient plus en face d’eux une Europe fasciste d'abord en ruine puis neutralisée et désintégrée, mais l’URSS et le monde communiste.

Pour l’Europe occidentale, la paix s’est appelée la guerre froide. C’est-à-dire la non-intervention dans les pays européens, souffrant sous des gouvernants tyranniques et réprimés par une intervention des forces du Pacte de Varsovie au moindre signe de rébellion ou même de revendications de libertés élémentaires. Mais, hors de cette petite sphère géographique, de la Guerre de Corée aux multiples conflits actuels, le monde n'a cessé d’être en guerre.

Non seulement, depuis la fin de la deuxième guerre mondiale, les conflits se sont succédé et multipliés, mais ont aussi changé progressivement de nature. Guerres “traditionnelles”, dans un premier temps, c’est-à-dire entre armées, éventuellement révolutionnaires, constituées. Puis, conflits de plus en plus difficiles à qualifier : révolutions suivies de régimes autoritaires ou réprimées par des dictatures, soutenues, là par des puissances dites communistes, ici par des pays officiellement démocratiques et porte-drapeau du “Monde libre”. Enfin, depuis une trentaine d’années, la nature des conflits devient de plus en plus inqualifiable : guerres civiles, religieuses ou tribales, avec des interventions de plus en plus ambiguës des grandes ou ex-grandes puissances, qui s’embourbent et aggravent souvent la situation par méconnaissance culturelle des peuples qu’elles affrontent ou prétendent venir aider.

Mais surtout, les actes qui jadis étaient les “bavures” des conflits en cours, condamnés d’ailleurs comme crimes de guerre et depuis 45 comme crimes contre l’humanité, sont devenus aujourd’hui la tactique, voire la stratégie, des conflits : tortures, viols, prises d’otages, massacres des populations civiles systématiques.

Dans un tel désordre et devant de telles violences de toutes parts, déclarer, comme on le fait officiellement aujourd’hui, que nous sommes entrés en guerre est soit “réconfortant” soit désolant. Réconfortant parce que cela voudrait dire qu’on est capable enfin de nommer clairement  l’ennemi et donc annoncer clairement à la population qui elle doit craindre et qui il faut combattre. Désolant si c'est seulement pour avertir que nous risquons d’être directement visés par cette abstraction continuellement énoncée : le terrorisme.

Pourquoi annoncer avec insistance cette “entrée en guerre” alors que depuis des décennies les troupes occidentales sont engagées dans des conflits meurtriers, et de plus au moment justement où elles se désengageaient progressivement ? Une guerre ce n’est pas une intervention  de “pacification” ou d’interposition entre belligérants, c’est clairement entrer en conflit avec un ennemi précisément désigné, et pour faire simple c’est un conflit entre Etats. Or un nouvel Etat est né, désignant nettement ses intentions meurtrières à l’égard des Etats démocratiques

Dans l’extraordinaire confusion qui règne depuis de nombreuses années au Moyen-Orient et en Afrique, il y a eu en juin 2014 l’annonce de la naissance d’un “Etat Islamique”, avec une armée, une administration, une forme “constitutionnelle” : le Califat, un Calife : l'émir Abou Bakr al-Baghdadi al-Husseini al-Qurashi auto proclamé calife sous le nom d'Ibrahim, et des principes fondamentaux : « Musulmans (...) rejetez la démocratie, la laïcité, le nationalisme et les autres ordures de l'Occident. Revenez à votre religion ». Un ennemi se nomme donc lui-même.

Contrairement à la première réaction d’Obama, par exemple, qui ironisait sur le caractère fantaisiste ou, en tout cas, inconsistant de la naissance d’un nouveau Califat, tous les spécialistes s’accordent aujourd’hui pour énoncer que la menace est sérieuse, ce qui autorise donc à déclarer officiellement qu’on est en guerre. Seulement un califat n’est pas un Etat ni même une nation, mais une forme particulière d’Empire où les différentes tribus ou ethnies, peu importe l’appellation, font allégeance au Calife. Dans la situation présente, le cœur de cette organisation est en Irak et en Syrie, mais les groupes terroristes qu’elle entend diriger sont disséminés non seulement au Moyen-Orient mais aussi au Maghreb, dans de nombreuses zones d’Afrique, d'Asie et bien évidemment au cœur même des pays occidentaux.

Autrement dit ce califat peut facilement cibler ses ennemis et utiliser des forces organisées sur place, entre autres parce que sa stratégie n’est pas de combattre de front ses ennemis, mais de terroriser les populations. Ensuite sa dénonciation de l’Occident fait écho bien au-delà des organisations terroristes, eu égard au fiasco des interventions de cet Occident, depuis des années, dans le monde multiforme musulman.

En face, on ne peut pas cibler physiquement l’adversaire, d’autant que parmi les ennemis du fameux califat il y a aussi des musulmans, les Chiites et tout particulièrement l’Iran, même certains sunnites, dont, entre autres, les Kurdes. D’autre part, les groupes terroristes se fondent dans les populations civiles. Si bien, qu’en fait d’action militaire on est ramené à des opérations de police et de services secrets, qui risquent sérieusement de bousculer les principes de liberté dans les pays démocratiques ; ce qui est l’objectif d’ailleurs de toute guerre terroriste : condamner l’adversaire à venir sur son terrain, à devenir terroriste lui aussi. On ne joue pas au tennis avec un ballon de rugby.

De toute façon, nous ne serions pas plus à l’aise dans un combat frontal, compte tenu de la maigreur de nos effectifs militaires et de l’état désastreux de notre matériel, selon les experts et les officiers supérieurs eux-mêmes. Cette remarque ne vaut pas seulement pour la France, mais le même constat peut être fait au R U et en Allemagne. On ne va pas entrer dans une évaluation détaillée, mais il suffit de noter que les effectifs militaires en France sont approximativement de 220 000 hommes (36 000 officiers, 100 000 sous-officiers, 84 000 hommes de troupes), dont 21 000 sont déjà hors du territoire. Rappelons à titre de comparaison qu’il y eut 1,5 millions d’appelés durant la guerre d’Algérie.

Au fond, l’Etat islamique n’est pas vraiment un Etat. Mais les pays européens, qui annoncent leur participation à cette guerre, sont-ils encore des Etats souverains ? Et l’Europe dans tout ça ? Et les puissances financières, qui terrorisent à leur manière nos économies, dans quel camp sont-elles, quelle stratégie leur rapportera le plus ?

En admettant qu’on puisse engager le combat, une guerre, en particulier de cette nature, suppose ou impose, comme on veut, qu’il y ait un consensus général sur le bien fondé de celle-ci et que donc la population soit prête à s’engager. Or, en l’occurrence, l’engagement pour les populations n’est pas d’aller combattre, il n’y a plus de contingent, mais d’accepter l’effort financier qu’imposent l’entretien du matériel et les interventions directes ou indirectes, et surtout d’accepter être victimes des attaques terroristes. Autrement dit, y a-t-il un sentiment national suffisamment puissant, pour ne pas se laisser terroriser ?

Les historiens se sont souvent chamaillés sur les vraies causes de la guerre de 14-18. Reste, qu’une fois engagée il a fallu la faire, au prix fort. On pourrait sans doute démonter le mécanisme de la montée en puissance du terrorisme islamiste, depuis la guerre russo-afghane et le rôle des Américains, créant pratiquement les Talibans et Al Qaïda, la révolution islamiste d’Iran, les interventions aussi intempestives que maladroites des occidentaux, le rôle de ces mêmes occidentaux vis-à-vis de régimes dictatoriaux dans ces régions etc…

On peut dénoncer les politiques successives de nos dirigeants et s’auto-flageller, on nous a bel et bien déclaré la guerre. Et il nous faudra des alliés. Or quels peuvent être les alliés dans toute guerre de cette envergure ? Non pas seulement nos “alliés naturels” européens mais tous ceux que l’ennemi a désignés comme cibles, et ceux qui sont en lutte contre l’Islamisme. Pour faire simple cela inclut l’Iran (chiite), les Emirats arabes unis, Israël, la Russie… De quoi donner du boulot aux diplomates.

Mais il faut aussi s’attaquer aux alliés de l’ennemi. Osera-t-on faire des “frappes” sur le propriétaire du “Paris St Germain” et futur hôte du Mundial ? D’autant qu’il semble jouer sur tous les tableaux. Et que dire du reste du monde musulman qui ne nous porte pas nécessairement dans son cœur et pour qui il sera difficile d’être allié ou seulement neutre vis-à-vis de ceux qui combattent leurs frères musulmans malgré tout.

 

 L’enjeu, et depuis longtemps, est tel qu’il impose un vrai débat national, des modifications dans les priorités politiques et des révisions radicales des engagements idéologiques de beaucoup. Dans une guerre classique, les choses deviennent vite simples : il y a nous et eux, et c’est une affaire de survie. Dans les conflits “modernes”, non seulement les choses ne sont pas simples mais elles se compliquent au fur et à mesure qu’ils perdurent et se répandent géographiquement. En tout cas, entre, d’une part, le strict humanitaire, devenu quasi impossible, et, d’autre part, le nationalisme racial de certains en Europe, il faudra trouver des raisons humanistes et efficaces de se défendre et donc de se battre. En ayant toujours en tête une autre déclaration de guerre proclamée avec force par notre candidat Président : “Mon (notre) adversaire, mon véritable adversaire : il n’a pas de nom, pas de visage, il n’a pas de parti, il ne sera jamais élu, et pourtant il gouverne, cet adversaire c’est le monde de la finance”.

Quoi qu’il en soit, que les barbaries qui sévissent en 2014 soient mises hors d’état de nuire avant 2018 !

2/10/2014

 

Rédigé par JC COIFFET